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05.11.2014

Qu'en est-il de la régularisation des avoirs détenus à l'étranger ?

Interview - Lexbase Hebdo édition fiscale n˚586 du 9 octobre 2014

par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition fiscale

 

Qu'en est-il la régularisation des avoirs détenus à l'étranger ?

— Questions à Maître Marc Bornhauser, Associé Cabinet Bornhauser Avocats

 

Il s'agit là d'une des questions d'actualité les plus brulantes du moment, qui concerne des dizaines de milliers de contribuables depuis maintenant plus d'un an. Depuis sa création, en juin 2013, par le Gouvernement français, l'unité de régularisation des comptes et des avoirs cachés à l'étranger, intitulée le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), ne désemplit pas. Les candidats à la repentance s'y pressent et l'objectif de 1,8 milliard d'euros de recettes fiscales, fixé pour l'ensemble de l'année 2014, a déjà été dépassé.

 

Pour en savoir plus sur ce mouvement important de régularisation des avoirs détenus à l'étranger, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Maître Marc Bornhauser, Associé Cabinet Bornhauser Avocats.

 

Lexbase : Comment se déroule une régularisation fiscale, par exemple d'un compte en Suisse ?

Marc Bornhauser : Au cabinet, la première étape prend la forme d'un entretien personnel, au cours duquel le contribuable nous raconte son histoire. Nous l'écoutons attentivement, en insistant auprès de lui sur le fait que ce qu'il nous dit devra être attesté sur l'honneur et corroboré par des justificatifs. C'est une étape importante au plan technique pour déterminer si le contribuable entre bien dans le champ application de la circulaire "Cazeneuve" (Circ.min., du 21 juin 2013, traitement des déclarations rectificatives des contribuables détenant des avoirs à l'étranger N° Lexbase : L6522IY9) (absence d'ESFP ou d'enquête douanière durant la période concernée par la procédure ou d'omission d'un compte lors d'une éventuelle régularisation auprès de la "cellule Woerth") et s'il sera considéré comme "actif" ou "passif" selon ladite circulaire. Elle va également nous permettre de prendre la mesure de la complexité du dossier, en vérifiant s'il n'y a pas eu de transmission à titre gratuit non encore prescrite (succession postérieure à 2006) ou qui deviendrait taxable du fait de la régularisation (dons manuels) ou encore s'il y a des structures interposées (trust, fiducie, fondation, société offshore). Nous nous faisons alors une idée (certes sommaire) du coût de la régularisation en pourcentage du montant des avoirs figurant sur le compte. D'expérience, un contribuable "passif" supportera un prélèvement compris entre 10 et 25 %, montant qui pourra aller jusqu'à 30 % en cas de structure interposée, et un contribuable "actif" supportera un prélèvement compris entre 20 et 35 %, sachant que tous ces montants peuvent considérablement augmenter en cas de donation ou de succession non prescrite.

Cette étape est aussi importante au plan psychologique puisque souvent le contribuable prend conscience que la situation qu'il pense subir (la régularisation) constitue surtout une opportunité de se mettre en règle à un coût somme toute raisonnable et qu'il pourra enfin employer sans risque des fonds parfois bloqués depuis des années.

Au cours du rendez-vous suivant, le contribuable nous signe une autorisation de levée de secret bancaire pour que nous puissions nous mettre en contact avec son banquier helvétique pour obtenir de sa part les informations nécessaires à l'établissement des déclarations rectificatives et du dossier à déposer : attestation de titularité du compte, origine des fonds, attestation de l'absence de versement si le compte est passif, montant annuel des retraits sur la période 2006/2014, le solde des comptes aux 1er janvier des années 2007 à 2014, état des revenus et plus-values depuis 2006 jusqu'à 2013.

Il nous signe également notre lettre de mission qui nous autorise, en fonction de son profil, à informer dès ce stade le STDR de son intention de régulariser. Certains, pas encore sûrs de leur décision, préfèrent conserver l'anonymat en attendant que nous ayons toutes les informations bancaires. Nous respectons ce choix car nous trouvons normal qu'ils ne prennent leur décision qu'au vu de simulations chiffrées. Sur nos dossiers, le taux de transformation est de 100 % car le contribuable sait bien au fond de lui qu'il n'a pas d'autre choix que de régulariser. Il est toutefois actuellement rare que le contribuable puisse se dispenser de se signaler immédiatement auprès du STDR car son banquier suisse exige qu'il lui signe une autorisation d'appliquer la Directive "épargne" (Directive 2003/48 du Conseil, du 3 juin 2003, en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts N° Lexbase : L6608BH9), ce qui revient en pratique à renoncer à l'anonymat fiscal.

Enfin, il nous remet ses déclarations de revenus (et les avis d'imposition correspondants) depuis 2006, ses éventuelles déclarations d'ISF depuis 2007, et toutes ses pièces justificatives. Lorsque nous avons collecté les informations nécessaires auprès du banquier et établi les déclarations rectificatives, nous recevons le contribuable pour lui présenter les résultats de nos simulations qui incluent, pour les structures interposées, le coût de leur liquidation. S'il ne nous l'a pas déjà donné en nous autorisant à le signaler auprès du STDR, nous lui demandons son accord pour mener le processus à son terme. Nous lui précisons qu'en cas de refus, nous lui restituerons son dossier, et nous ne pourrons plus à l'avenir le conseiller de quelque manière que ce soit car nous deviendrions autrement complices d'un blanchiment de fraude fiscale.

Une fois cet accord obtenu, le contribuable signe son attestation sur l'origine des fonds et ses déclarations rectificatives et règle le principal de l'ISF et des éventuels droits de mutation à titre gratuit, soit par chèque s'il utilise son compte français, soit par virement sur le compte du STDR s'il utilise son compte suisse. Puis nous déposons son dossier auprès du STDR dès que le banquier a exécuté le virement. Enfin, nous lui établissons sur demande une attestation certifiant que son compte suisse est en cours de régularisation, ce qui lui permet d'en rapatrier tout ou partie dans une banque française.

Après quelques semaines, le STDR nous adresse les propositions de redressement détaillées en matière d'impôt sur le revenu, d'ISF et d'amendes, accompagnées de la proposition de transaction réduisant les pénalités et amendes aux montants prévus par la circulaire "Cazeneuve". Nous procédons alors à la vérification des calculs et à la correction des éventuelles erreurs, puis invitons le contribuable à venir signer la transaction et à régler le reliquat des sommes dues.

La procédure de régularisation est alors terminée, mais nous proposons au contribuable de l'accompagner pour sa prochaine déclaration de revenus afin de lui expliquer comment déclarer correctement les revenus d'un compte étranger. S'il y avait une structure interposée, nous l'assistons pour sa liquidation, la déclaration du boni (ou du mali) de liquidation correspondant et la répartition des avoirs.

Lexbase : Le Gouvernement affiche le succès de cette mesure. Comment expliquez-vous le retour en masse de ceux qu'on appelle "les repentis fiscaux" ?

Marc Bornhauser : Ce retour en masse des repentis fiscaux à plusieurs causes.  Même s'il ne faut pas exagérer son importance, un certain nombre de contribuables font indéniablement preuve de civisme fiscal en profitant de cette opportunité pour régulariser une situation qu'ils n'avaient pas créée et qui ne leur plaisait pas, mais qu'ils subissaient. Lorsque vous faites partie d'une fratrie qui hérite d'un compte en Suisse, vous pouvez difficilement exposer vos frères et soeurs aux foudres du fisc en régularisant spontanément votre situation sans tenir compte de la leur...

Toutefois, c'est bien les banquiers suisses eux-mêmes qui ont provoqué ce phénomène en précisant à leurs clients qu'ils rompraient toute relation avec eux s'ils ne régularisaient pas leur situation fiscale. Lorsque votre banquier vous informe que si à telle date vous n'avez pas signé l'autorisation d'appliquer la Directive "épargne", donc de vous dénoncer à votre administration fiscale, vous recevrez un chèque du solde de votre compte, vous n'avez plus vraiment le choix !

Le tapage médiatique orchestré autour de "l'affaire Cahuzac" puis de ses conséquences, en particulier le vote de la loi réprimant la délinquance financière et fiscale (loi n˚ 2013-1117, du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière N° Lexbase : L6136IYW), ainsi que les discussions au niveau du G20 et de l'OCDE pour rendre obligatoires les échanges automatiques d'informations sur la détention des comptes bancaires, ont entraîné dans le mouvement les banquiers des autres places, en particulier le Luxembourg.

En définitif, c'est la traditionnelle alliance de la carotte (la circulaire "Cazeneuve") et du bâton (aggravation des sanctions, augmentation de la transparence, collaboration des banquiers étrangers) qui explique le succès de cette procédure et donc l'importance de cette vague de "civisme fiscal".

 

Lexbase : Comment contrôler l'exactitude des renseignements fournis par ces exilés, et des sanctions ont-elles déjà été infligées aux contribuables réticents ?

Marc Bornhauser : Le STDR ne se contente pas d'une simple attestation du contribuable : celle-ci doit être corroborée par des éléments de preuve extérieurs. Parfois, ces éléments n'existent tout simplement pas : le compte est trop ancien, la banque où il a été ouvert la première fois a disparu, etc.. Le STDR sait heureusement faire preuve de pragmatisme si la preuve lui est administrée de l'impossibilité réelle de la part du contribuable de produire les éléments en question.

 

Les contribuables réticents font dès à présent l'objet d'une chasse active de la part des douanes, qui multiplient les contrôles aux frontières. Or, le simple fait d'être contrôlé en possession d'espèces, même pour un montant inférieur à la limite fatidique des 10 000 euros, vous prive du bénéfice de la circulaire "Cazeneuve". Rapatrier ses espèces à la petite semaine et au compte-goutte est non seulement un exercice risqué, mais surtout une opération futile : en effet, il est aujourd'hui interdit en France de régler un commerçant au-delà de 3 000 euros en espèces. Et ce seuil devrait probablement baisser : en Italie il est à 50 euros !

 

Quant à ceux qui s'obstinent à ne pas vouloir se mettre en règle et qui ont transféré à temps leurs comptes dans une place financière située dans un territoire non coopératif, ils s'exposent tout simplement à la perte totale de leur patrimoine offshore, voire plus. En effet, l'administration dispose en la matière d'une prescription très longue : dix ans. Cela signifie en pratique que les revenus de l'année 2006 ne seront prescrits qu'au 1er janvier 2017 et que l'ISF et les droits de succession de l'année 2007 ne seront prescrits qu'au 1er janvier 2018. A cette date, le STDR aura fermé ses portes et la direction du contrôle fiscal aura commencé à exploiter toutes les informations collectées par le STDR au cours de la campagne de régularisation. Et pour les contribuables qui se feront alors rattraper par la patrouille, le coût des droits majorés des pénalités de droit commun (40 %) et des amendes (5 % par an) pourrait bien se rapprocher du montant du solde de leur compte non déclaré, voire le dépasser... Sans parler des poursuites pénales auxquelles ils seront exposés.

 

Lexbase : Malgré l'apparente efficacité de cette mesure contre l'évasion fiscale, pensez-vous qu'il deviendra réellement impossible de frauder le fisc dans les prochaines années ? Existe-t-il déjà d'autres moyens d'échapper à l'impôt ?

Marc Bornhauser : Ce qui me paraît certain, c'est que cette fraude-là, fondée sur la détention d'un compte bancaire étranger non-déclaré, va très certainement disparaître. Mais cela ne signifie certainement pas que la fraude fiscale elle-même va totalement disparaître ! Vous trouverez toujours un artisan qui acceptera de vous remettre la TVA moyennant un règlement en espèces, ou un vendeur qui acceptera un dessous-de-table pour économiser de l'impôt sur les plus-values et vous faire économiser une partie des droits d'enregistrement. Et je ne parle pas de la fiscalité des entreprises, où la frontière entre optimisation (légitime) et évasion (abusive) est parfois difficile à situer.  La fraude fiscale est aussi vieille que l'impôt lui-même et je n'ai pas la naïveté de considérer qu'une fiscalité juste supprimerait totalement le phénomène, même si elle devrait le réduire.

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