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Taxe de 3 % et titres au porteur : un mariage impossible ?

 (Cass. com. du 12 octobre 2022 n°20-14.073 F-B)

On sait que les entités juridiques françaises ou étrangères qui possèdent directement ou indirectement un ou plusieurs immeubles en France sont redevables d’une taxe égale à 3% de la valeur vénale des immeubles en cause (article 990 D et suivants du CGI).

De nombreuses exceptions existent, notamment pour les entités ayant leur siège dans un Etat de l’UE ou dans un Etat ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, sous réserve de communiquer certaines informations à l’administration fiscale française (article 990 E, 3° du d du CGI).

En particulier, ces entités sont totalement exonérées de la taxe de 3% si elles communiquent l’identité des actionnaires de la société qui détiennent plus de 1% des actions.

La doctrine administrative (BOI-PAT-TPC-20-20 du 5 octobre 2016 n°570) propose une liste non exhaustive des documents admis comme preuve de l’identité des actionnaires, notamment :

– les actes sociaux déposés auprès des juridictions ou services publics de l’État ou du territoire de résidence de l’entité,

– les déclarations déposées auprès des autorités fiscales de l’État ou du territoire de résidence de l’entité lorsqu’elles apportent les informations nécessaires,

– les documents authentifiés par un membre d’une profession réglementée constatant la répartition des titres et les mouvements de titres (registres de titres nominatifs ou de mouvement de titres), ainsi que tout justificatif tenant aux mouvements financiers liés aux actes de cessions, d’acquisitions de titres, augmentations ou réductions de capital,

– tout autre document officiel délivré par l’administration étrangère précisant l’identité, et l’adresse des actionnaires, associés ou porteurs de parts et le nombre de parts ou droits détenus.

Dans un arrêt du 12 octobre 2022, la chambre commerciale de Cour de Cassation est venue préciser les modes de preuves admis dans deux espèces distinctes jugées le même jour, dont seule une sera publiée au bulletin (n°20-14.565 et 20-14.073 F-B).

Dans l’affaire n°20-14.073, la Cour de Cassation valide la position de la Cour d’Appel considérant que la société luxembourgeoise n’avait pas suffisamment justifié l’identité de ses actionnaires pour bénéficier de l’exonération conformément à l’article 990 E, 3° du d ou e du CGI), dès lors que :

  • l’acte de cession de parts produit par la société afin de justifier l’identité des nouveaux actionnaires était un acte sous seing privé ne permettant donc pas de corroborer la réalité économique de la cession des parts,
  • l’extrait du registre des actions nominatives de la société produit, faisant état de l’enregistrement du transfert des actions, était univoque en ce qu’il émanait de la société et de ses administrateurs et ce quand bien même il aurait été certifié par notaire et apostillé, puisque la certification n’atteste que de la conformité du document à son original et l’apostille ne sert qu’à authentifier la qualité du notaire ayant certifié l’acte,
  • l’attestation notariale produite se fondait seulement sur le registre des actions de la société, sans recherche ni vérification de la réalité de l’opération par le notaire,
  • il n’existait aucun flux financier permettant de justifier d’un quelconque règlement qui aurait corroboré la réalité d’une cession de parts,
  • le fait que le Luxembourg n’exige pas la publication des actes relatifs aux cessions d’actions est indifférent, les critères visés au BOFIP n’étant pas exhaustifs.

On notera que si, comme le rappelle la Cour, la preuve est libre, force est de constater qu’il ne fait pas bon s’écarter des éléments de preuves visés par le BOFIP, qui reçoivent ainsi une consécration jurisprudentielle.

Or, en présence de titres au porteur (comme cela est encore possible dans certains pays mais plus au Luxembourg) dont la transmission est en pratique très souple et ne nécessite aucun dépôt auprès d’un organisme public (enregistrement auprès du fisc, dépôt au greffe, etc.), il est difficile de se ménager la preuve formelle qu’exige l’article 990 tel qu’ainsi interprété.

Au plan pratique, le recours à un notaire pour rédiger l’acte de cession (et non simplement l’authentifier) paraît s’imposer pour éviter que la société ne soit redevable de la taxe de 3 %.

Bien entendu, pour qu’un tel acte soit opposable, encore faut-il qu’il présente des garanties équivalentes à un acte authentique français, ce qui suppose notamment que le notaire étranger en vérifie la substance.

La morale de cette histoire, c’est que trop de liberté finit par tuer la liberté…