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Plus-value en report et transmission à titre gratuit : une inquiétante position d’un Rapporteur public devant la CAA Nantes

 (1e ch., 8 juillet 2021, n° 19NT04305)

Nous n’avons pas pour habitude de critiquer des conclusions d’un Rapporteur public, surtout lorsqu’elles n’ont pas été suivies par la juridiction. Mais nous ne pouvons pas passer sous silence la position prise par Madame Laure Chollet sous l’arrêt ci-dessus référencé en ce qu’elle porte en germe ce qui pourrait bien aboutir, si elle prospérait, à un véritable cataclysme.

Les faits de l’espèce importaient peu, comme la solution – très classique – rendue par la Cour. Une veuve mariée sous un régime de communauté universelle avec attribution intégrale de la communauté prétendait que la mise en communauté de titres porteur d’une plus-value en report créée lors d’un échange de titres avant 2000 s’analysait comme une mutation à titre gratuit et avait purgé ladite plus-value en report. La Cour considère au contraire que la cession à titre onéreux des titres concernés rendait bien imposable la plus-value en report à son nom et que l’opération de mise en communauté n’avait pas « purgé » le report d’imposition de la plus-value d’échange de titres constatée en 1999.

Toutefois, la décision donne l’occasion au Rapporteur public de faire une longue digression pour expliquer que dans son esprit, les véritables transmissions à titre gratuit de titres grevés d’une plus-value en report, comme les donations ou les successions, n’avaient pas pour effet de « purger » cette dernière, qui devenait alors imposable entre les mains de l’héritier ou du donataire lors de la cessation ultérieure des titres reçus gratuitement.

Elle pense trouver un appui solide dans un arrêt du Conseil d’Etat du 7 novembre 2008 (n° 296644) rendu aux conclusion de Laurent Olléon en ce qu’il a jugé que la plus-value en report sur la nue-propriété de titres transmis à titre gratuit ne devenait pas imposable lors de la donation, en concluant par un a contrario aussi surprenant qu’osé que le silence de l’arrêt sur le traitement fiscal de cette nue-propriété en cas de cession ultérieure de ses droits par le nu-propriétaire ne signifiait pas qu’il n’y avait pas matière à taxation de cette plus-value en report lors de cette cession.

Elle continue sa démonstration en balayant d’un revers de main le commentaire livré dans son rapport sur la loi de finances au Sénat par le Rapporteur Monsieur Roger Chinaud en ce que, selon lui, « l’imposition de la plus-value reportée lorsque les titres font l’objet d’une mutation à titre gratuit a été définitivement exonérée ». Et nous qui pensions naïvement qu’en présence d’un texte obscur, il fallait se référer aux débats parlementaires…

Le comble est atteint lorsqu’elle déclare que « la mise en oeuvre du différé d’imposition prévu par le régime du report ou même ultérieurement celui du sursis (c’est nous qui soulignons) n’est pas conçue comme devant se traduire par l’évaporation de la matière imposable ». Or, dans le sursis, la transmission à titre gratuit purge au contraire mécaniquement la plus-value différée puisque celle-ci n’existe tout simplement pas. En effet, l’opération d’échange de titres placée sous ce régime aboutit en pratique à ce que le prix de revient des titres échangés reste celui des titres remis à l’échange. Il n’y a donc pas constatation d’une plus-value en sursis mais maintien des prix de revient d’origine, de sorte qu’en cas de transmission à titre gratuit ultérieure, cette plus-value disparaît en même temps que la plus-value constatée depuis l’échange.

Nous ne croyons pas que la position exprimée par le Rapporteur public puisse faire florès et c’est heureux. Mais cette anecdote illustre les pièges du report d’imposition à la française qui, en cristallisant la plus-value d’échange dans une déclaration, permet ultérieurement la validation de traitements fiscaux différents des plus-values en sursis alors que comme l’a jugé la CJUE il y a maintenant 3 ans (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2019/09/abattement-de-detention-sur-les-plus-values-en-report-la-cjue-nous-donne-gain-de-cause/), les deux modalités de traitement des plus-values d’échange devraient avoir des conséquences fiscales identiques.

Il est vrai que pour les opérations hors du champ de la Directive « Fusions », le Conseil Constitutionnel n’y voit aucune discrimination par ricochet. On verra bien ce qu’en pensera la Cour Européenne des Droits de l’Homme.