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Abus de droit par abus de doctrine : le Conseil d’Etat ne valide pas mais valide quand même.

On se souvient que par un avis d’Assemblée rendue dans l’affaire dite des « fonds turbo », le Conseil d’Etat avait considéré que la protection offerte par l’article L 80 A du LPF ne permettait pas à l’administration d’invoquer l’abus de droit lorsque le texte « abusé » était une doctrine administrative (8 avril 1998, n° 192539).

On se souvient également que dans sa formation de plénière fiscale, la Cour Administrative d’Appel de Paris avait considéré que la modification de l’article L 64 du LPF en 2007 suite à l’arrêt Jeanfin, en ajoutant le terme « décisions » à la liste des textes dont l’abus peut être sanctionné, avait implicitement mais nécessairement invalidé la jurisprudence de 1998, de sorte que même si la doctrine n’avait pas d’esprit, son abus pouvait être sanctionné sur le fondement de l’abus de droit.

La décision du Conseil d’Etat dans cette affaire était attendue par la doctrine avec une impatience teintée d’inquiétude et on peut dire sans trop de risque que la position que vient de prendre le Conseil d’Etat fera couler autant d’encre que celle de la Cour, dont l’arrêt est invalidé dans son raisonnement mais pas dans sa conclusion (CE, Ass., 28 octobre 2020, n° 428048).

Dans sa formation la plus solennelle, le Conseil d’Etat commence d’abord par rappeler sa position de principe : non, le terme « décisions » n’a pas la portée que lui donne la Cour et ne vise donc pas les instructions et circulaires publiées par l’administration fiscale. Mais il relativise immédiatement son propos en rappelant que l’abus de droit permet d’écarter les montages artificiels.

Et force est de constater à la lecture des faits que le contribuable avait fait très fort : de manière à bénéficier de l’exonération de sa plus-value mobilière à l’occasion de son départ à la retraite alors qu’il détenait plus de 1 % du capital de l’acquéreur de ses titres, il avait cédé la veille de la vente juste assez de titres pour redescendre sous le seuil de 1 % à une société civile appartenant à son plus proche collaborateur et qui n’avait pas d’autre actif. Le prix de vente des titres n’avait pas été payé, de sorte que trois ans plus tard, il avait pu racheter les parts de la société civile pour 3 euros. Un bel abus chimiquement pur !

Le Conseil d’Etat a considéré que face à un tel montage, la question n’était en fait pas celle de l’application de la protection offerte par la doctrine administrative en faveur des cessions de titres à des acquéreurs dont le cédant détenait moins de 1 % du capital, mais de la nécessité de sanctionner un schéma totalement artificiel. Parce que si la doctrine n’avait pas prévu cette tolérance de 1 %, nul doute que le contribuable aurait alors vendu la totalité de ses titres à cette structure sans substance interposée pour les besoins de la cause.

En d’autres termes, le contribuable commettait un abus de droit en interposant une société sans substance qu’il aurait commis même si la doctrine administrative n’avait pas existé. Il n’avait donc pas vraiment abusé de la doctrine, mais directement de la loi elle-même qui entendait refuser le bénéfice de l’exonération aux cédants qui détenaient des titres de l’acquéreur, quel qu’en soit le nombre.

D’ailleurs, même si la doctrine administrative n’a en principe pas d’esprit, celui de cette tolérance avait toutefois été exposé par l’administration lors d’une conférence organisée par l’IACF : il s’agissait d’éviter de sanctionner un contribuable qui vendait ses titres à une société cotée dont il pouvait avoir par ailleurs – et peut-être même à son corps défendant – des actions dans son portefeuille boursier. La limite de 1 % était à l’époque apparu suffisante à l’administration pour éviter ce risque.

En conclusion, la décision rendue par le Conseil d’Etat apparaît pleinement satisfaisante en réaffirmant le principe que l’abus de droit ne peut pas sanctionner un abus de doctrine administrative. En revanche, se placer dans le champ de la doctrine en mettant en œuvre un schéma dépourvu de substance doit pouvoir être sanctionné sur le fondement de l’abus de droit, car fraus omnia corrumpit.