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Amende « Trust » : un demi-succès.
Par une décision n° 2016-618 QPC du 16 mars 2017, le Conseil Constitutionnel a prononcé l’annulation de l’amende proportionnelle de 5 % puis 12,5 % des actifs trustaux pour non-déclaration d’un trust à la charge du trustee. Il a en revanche validé l’amende forfaitaire de 10.000 € puis 20.000 €.
Nous reviendrons ultérieurement sur cette décision lorsque la publication des commentaires du Conseil nous permettront d’en bien saisir toute la portée.
Nous voudrions toutefois à ce stade formuler deux remarques.
La première, c’est que contrairement à ce que nous attendions, le Conseil Constitutionnel n’a pas considéré que l’entrée en vigueur de la loi de finances rectificative pour 2016 ayant abrogé cette amende proportionnelle rendait sans objet notre QPC.
Il est vrai que la loi n’avait abrogé l’amende que pour l’avenir, mais nous considérions qu’en application de la rétroactivité in mitius, autrement dénommée application immédiate de la loi pénale plus douce, l’amende proportionnelle avait été de facto abrogée. Ce n’était toutefois pas la position du STDR qui continuait imperturbablement à appliquer cette amende dans les propositions de transaction adressées aux contribuables repentis.
C’est sur le fond du droit, en reprenant les mêmes motifs que dans sa décision n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016 sur l’amende proportionnelle « compte étranger », que le Conseil a invalidé l’amende. L’opportunité de notre recours s’est donc trouvé rétrospectivement justifiée et les contribuables en cours de régularisation ayant constitué des trusts pour gérer leur compte étranger peuvent remercier nos clients d’être allés au charbon.
La seconde, c’est que l’intervention de notre confrère Jacquot du Cabinet Arsene Taxand, qui demandait à ce que le Conseil Constitutionnel étende son annulation aux transactions déjà signées, n’a pas porté les fruits espérés, le Conseil précisant au contraire expressément que sa décision ne saurait les remettre en question.
Et comme la cliente de notre confrère a fait preuve d’une grande timidité, au point de demander la confidentialité de l’audience, privant ainsi le public de la joie de nous voir plaider cette affaire, nous reproduisons ci-après le texte des observations orales que nous avons présentées à l’audience.
Monsieur le Président,
Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel
Malgré son nom bien français, Michèle B est italienne. Elle a toutefois vécu l’essentiel de sa vie au Canada anglophone. Ayant hérité de sa tante environ 300.000 €, elle a créé sur les recommandations de sa banque un trust dont elle est également trustee et seule bénéficiaire. En 2011 à 25 ans, elle est venue s’installer en France pour y finir ses études. Elle y est restée depuis.
Nonobstant sa qualité de résidente française, elle a continué à déclarer au Canada les produits des placements financiers réalisés via son trust.
Ayant grâce à la presse réalisé qu’elle aurait dû déclarer en France l’existence de son compte canadien, elle a entamé une procédure de régularisation auprès de l’administration fiscale.
Les faits sont similaires pour le client pour lequel nous intervenons à l’instance : M. Jésus R est un espagnol qui est venu s’installer en France pour raisons professionnelles en 2008. Antérieurement à son installation en France, il avait constitué une société aux Bahamas pour gérer des avoirs financiers d’environ 2,6 M€ détenus sur un compte bancaire en Suisse. Il avait ensuite apporté les titres de cette société à une fondation du Liechtenstein qu’il avait constitué pour les besoins de la cause. La définition du trust donnée par l’article 792-0 bis I-1 du CGI couvrant également, selon la doctrine autorisée, les fiducies du type des fondations du Liechtenstein, M. R intervient à l’instance car le Conseil d’Etat, saisi par nos soins du même recours en excès de pouvoir et de la même QPC que Mme B, n’a pas transmis sa demande de QPC au motif que la demande de Mme B avait déjà été transmise. Nous vous remercions donc de bien vouloir reconnaître le bien-fondé de sa demande d’intervention à la présente instance.
Pour le compte de la Requérante et de l’Intervenant, nous entendons démontrer que tant l’amende proportionnelle de 5 % puis 12,5 % que l’amende forfaitaire de 10.000 puis 20.000 € à la charge de l’administrateur du trust et dont le constituant est solidairement responsable sont contraires à la constitution.
Nous ne nous étendrons pas sur l’amende proportionnelle de 5 % puis 12,5 % des fonds trustaux : elle a été abrogée par la loi de finances rectificative pour 2016. Certes, le législateur ne l’a supprimée que pour l’avenir, mais votre jurisprudence considère que l’abrogation d’une sanction est toujours rétroactive (en ce sens, votre décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981). Il vous suffit donc de réaffirmer cette jurisprudence pour achever de liquider l’amende proportionnelle. Si toutefois vous décidiez de revenir sur cette jurisprudence au cas particulier, vous pourriez néanmoins considérer que les motifs qui vous ont conduit, par votre décision n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016, à invalider l’amende de 5 % sanctionnant l’absence de déclaration des comptes bancaires étrangers vous conduisent à invalider également l’amende trust de 5 % puis 12,5 %.
En revanche, c’est à l’amende forfaitaire de 10.000 puis 20.000 € que nous entendons consacrer nos développements. En effet, celle-ci nous paraît contraire à plusieurs principes constitutionnels figurant dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
En premier lieu, le principe d’égalité : comme vous le savez, la non-déclaration d’un compte étranger n’est sanctionné que par une amende de 1.500 € lorsque le compte est situé, comme en l’espèce avec le Canada, mais également maintenant la Suisse et le Liechtenstein, dans un État ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’accès aux renseignements bancaires.
Pourquoi traiter plus de 13 fois plus sévèrement le contribuable qui a mis son épargne dans un trust que celui qui la détient en direct ? Cela pourrait se comprendre si le trust était toujours un véhicule de fraude ou d’évasion fiscale, mais ce n’est pas le cas.
Car qu’est-ce qu’un trust ? Mon propos n’est pas de vous faire un cours de droit anglo-saxon. L’important est que vous sachiez que c’est un instrument juridique extrêmement classique dans les pays de common law qui remplace diverses institutions que nous connaissons en France pour gérer les biens d’un incapable, organiser un démembrement de propriété en vue de commencer à transmettre un patrimoine, régler les conséquences d’un divorce, etc. Contrairement à ce qu’une certaine littérature journalistique voudrait faire croire en s’appuyant sur des affaires judiciaires récentes qui ont défrayées la chronique et qui sont d’ailleurs remontées jusqu’à vous, la constitution d’un trust par un résident d’un pays de common law n’est quasiment jamais motivée par la fraude ou l’évasion fiscale.
Il n’y a donc aucune raison objective justifiant cette différence de traitement.
Cette amende nous paraît également contraire aux principes de proportionnalité et d’individualisation des peines.
L’amende de 10.000 puis 20.000 € sanctionne de la même manière des manquements qui peuvent aller du plus malin – ne rien déclarer du tout – au plus bénin : oublier de déclarer un seul actif français comme par exemple une action dans une société française d’une valeur de 10 € noyée dans un actif trustal de plusieurs millions d’euros.
Certes, il en est de même pour l’amende forfaitaire « compte », mais le législateur a prévu une gradation de la sanction selon que le compte est ouvert dans un État coopératif ou non. C’est d’ailleurs cette raison qui vous a conduit à valider l’amende forfaitaire « compte » (considérant 7 de votre décision n° 2015-481 QPC du 17 septembre 2015 que je connais bien puisque c’est moi qui vous avais posé cette QPC). Or, rien de tel pour l’amende « trust », qui s’applique même si l’Etat du lieu de constitution du trust et/ou de situation des actifs est coopératif, comme le Canada, la Suisse et le Liechtenstein en l’espèce.
C’est sur ce dernier point que votre jurisprudence est la plus attendue car si vous avez jugé à de nombreuses reprises qu’une amende proportionnelle respectait par définition le principe d’individualisation des peines, de même que plusieurs peines forfaitaires le respectaient lorsqu’elles constituaient ensemble un barème, vous n’avez à notre connaissance pas validé une peine forfaitaire unique d’un montant significatif.
Et pour un particulier, une amende de 20.000 € par an multipliée par quatre ou même par cinq en fonction de la date de constatation de l’infraction est manifestement d’un montant significatif.
Nous vous invitons donc à fixer votre jurisprudence en ce sens qu’une peine forfaitaire unique ne respecte pas les principes de proportionnalité et d’individualisation des peines lorsqu’elle est d’un montant significatif et de considérer que tel est le cas de l’amende « trust » de 10.000 puis 20.000 €.