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Compte étranger non déclaré et article 755 du CGI : la Cour d’Appel de Versailles refuse d’appliquer la jurisprudence européenne

(CA Versailles, 1re chambre, 1re section, 7 Février 2023, n° 20/03678)

On se souvient que par une décision n° 2021-939 QPC du 15 octobre 2021, le Conseil Constitutionnel avait refusé de sanctionner le régime des articles L 23 C du LPF et 755 du CGI, qui permet à l’administration de soumettre aux droits de mutation à titre gratuit au taux de 60 % le solde le plus élevé au cours des 10 dernières années figurant sur un compte étranger non déclaré (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2021/10/taxation-de-larticle-755-du-cgi-pour-le-conseil-constitutionnel-la-fraude-fiscale-justifie-tous-les-moyens/).

On se souvient aussi que par un arrêt du 27 janvier 2021, n° C-788/19, la CJUE avait condamné l’Espagne en manquement pour un dispositif sanctionnant la non-déclaration de comptes étrangers qui présentait de nombreuses similitudes avec le régime français (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2022/02/comptes-etrangers-non-declares-et-presomption-dacquisition-a-titre-gratuit-le-salut-viendra-t-il-de-leurope/).

On attendait donc avec une certaine impatience la réception par les juges français de l’argument tiré de la violation du droit européen, en particulier de la liberté de circulation des capitaux. Le moins que l’on puisse dire de l’arrêt de la Cour de Versailles est qu’il nous laisse sur notre faim.

Passons sur le côté très caricatural de l’affaire – le contribuable titulaire de la prime pour l’emploi compte tenu de l’insuffisance de ses revenus déclarés avait eu la très mauvaise idée d’immatriculer à son nom une Porsche Panamera GTS presque neuve – pour nous concentrer sur les arguments invoqués contre la conformité du dispositif français au droit européen.

Le contribuable soutenait que le dispositif français créait pour les investisseurs le risque d’une imposition plus importante en cas de détention d’avoirs bancaires à l’étranger plutôt qu’en France, ainsi qu’une incertitude plus importante pour eux-mêmes et pour leurs héritiers dans la mesure où le pouvoir de reprise de l’administration fiscale s’étendait sur une durée beaucoup plus longue. Selon lui, de tels risques seraient de nature à les dissuader d’investir à l’étranger ou d’y conserver des avoirs bancaires existants. Il en déduisait que les articles 755 du code général des impôts, L. 23 C et L. 71 du livre des procédures fiscales constituaient des restrictions à la libre circulation des capitaux garantie par l’article 63 du TFUE.

Comme nous le pensons pertinent, il pointait l’effet d’imprescribilité d’un dispositif exigeant la justification de l’origine d’avoirs acquis à une date pouvant être très ancienne. La Cour balaie sommairement l’argument en relevant que le dispositif espagnol prévoyant l’application d’une sanction alors que le régime français taxe une assiette, la décision de la CJUE de 2022 était inopérante.

Toutefois et de manière surprenante, la Cour allait néanmoins aborder la question de l’existence ou non d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux en examinant la Question Préjudicielle que le contribuable lui proposait de transmettre à la CJUE. Cette question était rédigée comme suit : « En prévoyant que tout manquement aux obligations de déclaration des comptes bancaires et des contrats d’assurance-vie à l’étranger au cours des dix années précédentes entraîne, en l’absence de justification de l’origine et des modalité d’acquisition des fonds par le contribuable sur demande de l’administration fiscale, l’imposition de la somme la plus élevée ayant figuré sur ses comptes ou contrats d’assurance-vie à l’étranger au cours des dix années précédant la demande de justification de l’administration aux droits de mutation à titre gratuit au taux de 60 % sans possibilité d’invoquer la prescription, la France manque-t-elle aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ? ».

Le contribuable soutenait que lorsque les avoirs sont détenus sur un compte bancaire en France, l’administration fiscale applique les règles de droit commun et peut appliquer aux crédits bancaires injustifiés au titre de l’impôt sur le revenu, un barème progressif en fonction du revenu global du contribuable, dont la tranche marginale la plus élevée est de 45 %, dans la limite d’un droit de reprise de trois ans.

A l’inverse, lorsque les avoirs sont détenus sur un compte étranger non déclaré, la taxation s’établir au taux de 60 % et porte sur le solde le plus élevé au cours des 10 dernières années et le droit de reprise de l’administration s’exerce pendant 10 ans. De plus, l’imposition s’effectuant indépendamment de la date d’acquisition de ces avoirs serait de nature à donner à l’administration un pouvoir de taxation imprescriptible.

Pour écarter l’existence d’une discrimination, la Cour va constater que l’article L 169 alinéa 2 à 4 du LPF permet à l’administration de bénéficier d’un délai de reprise de 10 sans lorsque le contribuable exerce une activité occulte, pour en déduire que… « le législateur a opéré une distinction selon que le manquement ou la défaillance du contribuable dans sa déclaration de revenus procède d’une part, d’une erreur ou d’une omission (alinéa 1er de l’article L. 169) et d’autre part, d’une dissimulation (alinéas 2 à 4 de l’article L.169). (…) Ce délai est identique à celui prévu par l’article 755 du code général des impôts pour la taxation d’office des avoirs non déclarés sur un compte ouvert à l’étranger, dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées après mise en ouvre de la procédure de l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales. Il s’ensuit que le législateur a accordé à l’administration fiscale un pouvoir de rectification de l’imposition des avoirs non déclarés (droit de reprise ou taxation d’office) dans un délai identique (dix ans) que ces avoirs figurent sur un compte bancaire en France ou qu’il figure sur un compte bancaire à l’étranger ».

La sagesse populaire interdit de mélanger les torchons et les serviettes. C’est pourtant ce que fait allègrement la Cour, en constatant une similitude des droits de reprise en fonction du lieu de situation des avoirs qui n’existe que dans son imagination. Non, des avoirs bancaires étrangers non déclarés ne sont pas nécessairement le produit d’une activité occulte du contribuable, la campagne de régularisation passée l’a bien mis en évidence.

Il est difficile de prétendre que la différence des durées de prescription n’est pas de nature à créer une différence de traitement et le débat pertinent devrait alors se déplacer sur le terrain des justifications. Une prescription allongée était-elle justifiée compte tenu de la difficulté pour le fisc d’obtenir l’information pertinente ? Et le juge devrait alors très logiquement départir les années où aucune assistance administrative n’existait avec l’Etat étranger de celles où l’administration pouvait obtenir, automatiquement ou sur demande, les informations bancaires nécessaires au contrôle du contribuable.

Espérons que la Cour de cassation aura rapidement l’occasion de se saisir de cette question et qu’elle fera moins preuve d’imagination que la Cour d’Appel de Versailles.