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La jurisprudence Quenener étendue aux trusts ?
(CAA Paris, 21 avril 2023, 5e ch., n° 20PA02868)
On sait que pour éviter les doubles impositions (et doubles déductions) des revenus des sociétés de personnes lors de la cession de leurs titres par leurs associés, la jurisprudence (CE 16 février 2000 n° 133296, Quemener) a prévu de manière prétorienne de neutraliser les sommes non distribuées sur lesquelles l’associé avait déjà été imposé en majorant d’autant le prix de revient de ses titres (et de faire l’inverse pour les déficits non financés).
On sait aussi que depuis l’entrée en vigueur de la loi sur les trusts le 31 juillet 2011, les bénéficiaires de trusts étrangers sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit lors du décès du constituant sur les actifs du trusts et les revenus capitalisés (792-0-bis du CGI).
On sait enfin que les bénéficiaires de trusts sont soumis à l’impôt sur le revenu sur les sommes distribués par les trusts (article 120, 9e du CGI).
La difficulté à laquelle les bénéficiaires de trusts sont aujourd’hui confrontés est l’absence de coordination entre l’impôt sur le revenu et les droits de mutation à titre gratuit. En effet, alors qu’ils ont supporté les droits de succession sur leur part des actifs mis en trust et des revenus de ces derniers qui ont été précédemment capitalisés, l’administration fiscale n’hésite pas à les taxer à l’impôt sur le revenu sur les revenus du trust lorsque le trustee leur attribue leur part des actifs du trust.
La Cour Administrative d’Appel de Paris vient de statuer sur le cas d’un contribuable qui, bénéficiaire d’un trust américain, s’était ultérieurement vu attribuer par le trustee sa fraction des actifs à la suite du décès du constituant. Considérant les sommes attribuées comme des « distributions » au sens de l’article 120, 9e du CGI, l’administration l’avait assujetti à l’impôt sur la totalité des sommes reçues.
Pour sa défense assurée par Line-Alexa Glotin du cabinet UGGC, le contribuable avait soulevée une QPC fondée sur l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en ce sens que la notion de « distributions » visée à l’article 120, 9e du CGI instituait une présomption de taxation des sommes versées par le trust quelle que soit la nature – revenus ou capital – des sommes versées dont le contribuable pouvait très difficilement apporter la preuve contraire.
La Cour refuse de transmettre la QPC mais donne gain de cause au contribuable sans ordonner l’expertise qu’il demandait en considérant que c’était à l’administration d’apporter la preuve que les sommes attribuées au bénéficiaire constituaient des distributions de revenus et non une attribution d’actifs. Or, la Cour observe que le terme américain « distributions » utilisé dans le document envoyé par les autorités fiscales américaines ne permettait pas d’identifier la nature des sommes distribuées, de telles « distributions » pouvant porter soit sur le revenu net généré, le cas échéant, par les actifs placés en trust (net income), soit sur des transferts de capitaux (principal). De plus, les formulaires américains souscrits par le trustee dont le fisc français avait obtenu copie dans le cadre de l’assistance administrative ne mentionnaient pas l’existence de revenus distribués aux bénéficiaires du trust.
Ce faisant et sans se référer expressément à la jurisprudence Quemener, cette décision pose un jalon important pour la reconnaissance d’un principe équivalent en matière de trust qui évitera que le bénéficiaire qui se voit attribuer des actifs du trust ne soit soumis une nouvelle fois à l’impôt à concurrence des avoirs qui lui auront été transmis par le constituant (et qui auront donc déjà supporté les droits de mutation à titre gratuit).
Le jalon suivant devra traiter du sujet des revenus capitalisés dans le trust avant le décès du constituant qui, ayant été soumis aux droits de succession en application de l’article 792-0-bis du CGI, ne devraient pas être soumis une nouvelle fois à l’impôt sur le revenu français lors de leur distribution au bénéficiaire. Pour les trusts qui ne disparaissent pas au décès de leur constituant, il sera nécessaire que la comptabilité du trust distingue bien les revenus capitalisés avant le décès – dont la distribution ne sera pas taxée – de ceux réalisés après – dont la distribution sera imposable sur le fondement de l’article 120, 9e.
Il est particulièrement heureux que les juges du fond aient fait preuve en la matière du même bon sens que le Conseil d’Etat en cherchant comme lui à éviter d’infliger aux intéressés une double imposition des mêmes sommes. Dans un monde parfait, l’administration devrait spontanément appliquer les mêmes principes pour éviter au contribuable 7 ans de procédure.
Mais un monde parfait aurait-il besoin d’avocats ?