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Le secret professionnel de l’avocat fiscaliste n’est pas constitutionnel

(Conseil Constitutionnel, 19 janvier 2023, n° 2022-1030 QPC)

La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la Confiance dans l’Institution Judiciaire a modifié la rédaction des articles 56-1 et 56-1-2 du code de procédure pénale encadrant les perquisitions dans les cabinets d’avocat.

Il convient de rappeler que la version précédente des mêmes textes protégeait le secret professionnel de l’avocat dans tous les domaines, conseil comme défense, mais faisait l’objet d’une interprétation contra legem de la chambre criminelle de la Cour de cassation (V. par ex., 30 juin 1999, pourvoi n° 97-86.318) qui aboutissait en pratique à permettre la saisie des correspondances échangées entre l’avocat et son client dans le domaine du conseil.

Alors que l’article 3 du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale entendait briser cette jurisprudence, le Sénat adoptait un amendement supprimant expressément la protection du secret dans le domaine du conseil. La commission mixte paritaire se mettait d’accord sur un texte qui maintenait la protection absolue prévue, sauf pour certaines infractions financières, dont la fraude fiscale. Le secret professionnel de l’avocat fiscaliste est donc depuis moins absolu que celui de ses confrères dans le domaine du conseil.

Aujourd’hui, l’avocat fiscaliste sait que son secret n’est pas absolu et que tout ce qu’il écrira pourra non seulement être saisi chez ses clients, mais également au sein de son cabinet. Certes, ce dernier ne doit pas se transformer en coffre-fort, protégeant indistinctement l’avocat respectueux de sa déontologie et celui qui la viole, mais la dérive suscite l’inquiétude. Il n’y a en effet pas de conseil efficace sans confiance, ni de confiance sans secret. L’effet de bord de cette règle est la forte incitation pour l’avocat fiscaliste à limiter son rôle au contentieux ou à la compliance, ce conseil sans imagination ni créativité qui semble bien être l’horizon indépassable auquel que les pouvoirs veulent le cantonner.

C’est vrai qu’il est plus facile d’aller chercher la preuve des infractions directement au cabinet de l’avocat-conseil que de se livrer à des enquêtes minutieuses pour traquer les fraudeurs. Cela mobilise bien moins d’énergie et de moyens, en ces temps de disette budgétaire… Toutefois, nos libertés publiques, au nombre desquels figurent le droit à un procès équitable et le respect de la vie privée et le secret des correspondances, peuvent-elles servir de variable d’ajustement de l’insuffisance de moyens des politiques publiques ?

Afin de faire juger que ce nouveau régime n’est pas conforme à nos normes supérieures, les barreaux de Paris et des Hauts-de-Seine ont déposé un recours pour excès de pouvoir contre la Circulaire administrative commentant les articles 56-1 et 56-1-2 du code de procédure pénale, avec des arguments tant constitutionnels que conventionnels. Le 18 octobre 2022, le Conseil d’Etat ( n° 463588 et 463683) a transmis au Conseil Constitutionnel une QPC tendant à faire juger la loi comme étant contraire tant à la garantie des droits (article 16 de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789) qu’au droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 du même texte.

Malheureusement, le Conseil constitutionnel, fidèle à sa jurisprudence traditionnelle (Cons. const. 24 juil. 2015, n° 2015-478 QPC), a rejeté la QPC au motif que le secret professionnel de l’avocat en matière de conseil n’ayant pas valeur constitutionnelle, le législateur pouvait décider de le restreindre pour un motif d’intérêt général supérieur, en l’occurrence l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions.

Cette décision décevante ne signifie toutefois pas l’épilogue du litige. En effet, si l’on peut effectivement déplorer que le fameux « dialogue des juges » entre les cours suprêmes n’ait pas conduit le Conseil constitutionnel à remettre en question sa position traditionnelle sur la valeur seulement législative du secret professionnel de l’avocat dans le domaine du conseil, il n’en demeure pas moins que plusieurs traités internationaux, qui ont une autorité supérieure à la loi en application de l’article 55 de la Constitution, considèrent ce secret comme un droit fondamental et garantissent sa protection. Et nous avons vu dans le litige DAC 6 (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2022/12/dac-6-et-secret-professionnel-des-avocats-une-grande-victoire-pour-letat-de-droit/ ) que le droit au secret des correspondances et au respect de la vie privée protégés par les articles 7 de la Charte et 8 de la Convention européenne permettait d’éviter qu’il soit porté une atteinte excessive au secret professionnel de l’avocat tant dans le domaine contentieux que dans celui du conseil.

Or, le syndicat d’avocats ACE – Avocats Ensemble a d’ores et déjà saisi la Commission européenne d’une plainte contre les dispositions suscitées de la loi Confiance. La plainte est toujours en cours d’instruction, la Commission attendant manifestement l’issue de la QPC pour décider ou non d’introduire une action en manquement contre la France.

Par ailleurs, si la QPC a été rejetée, le recours pour excès de pouvoir des Ordres de Paris et des Hauts-de-Seine est toujours pendant au Conseil d’État, devant qui les arguments tirés de la non-conformité de la loi française avec les normes européennes auront été invoqués. En cas de doute, le Conseil d’État pourra en tout état de cause poser une Question Préjudicielle tant à la CJUE qu’à la CEDH.

On peut donc espérer que malgré ce revers, nous finissions par gagner la dernière bataille, la seule qu’il ne faut pas perdre… La seule question qui reste est le lieu où elle se livrera : Paris, Luxembourg ou Strasbourg ?