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Le traitement des moins-values de cession de valeurs mobilières après l’arrêt du Conseil d’Etat n° 390265 du 12 novembre 2015.

Le régime actuel d’imposition au barème progressif des plus ou moins-values de cession de valeurs mobilières, applicable aux cessions réalisées à compter du 1er janvier 2013, prévoit l’application d’un abattement pour durée de détention pratiqué sur les « gains nets » de cessions de valeurs mobilières, termes qui avaient été considérés par l’administration fiscale comme visant indifféremment les plus-values et moins-values dans l’instruction du 20 avril 2015 commentant ce nouveau régime.
Le Conseil d’Etat a été saisi d’un recours pour excès de pouvoir formé notre client demandant notamment l’annulation des points de l’instruction prescrivant l’application d’abattements sur les pertes, demande à laquelle le Conseil d’Etat a fait droit dans un arrêt du 12 novembre 2015 (CE, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 12/11/2015, n° 390265).
Le Conseil d’Etat ne s’est toutefois pas limité à une annulation pure et simple. Craignant probablement un appel d’air qui aurait permis aux contribuables d’imputer des pertes brutes sur des gains ayant déjà bénéficié d’un abattement pour durée de détention, le Conseil d’Etat a prescrit sa propre méthode d’imputation des pertes et d’application des abattements, dans les termes suivants :
«[…] les gains nets imposables sont calculés après imputation par le contribuable sur les différentes plus-values qu’il a réalisées, avant tout abattement, des moins-values de même nature qu’il a subies au cours de la même année ou reportées en application du 11 précité, pour le montant et sur les plus-values de son choix, et que l’abattement pour durée de détention s’applique au solde ainsi obtenu, en fonction de la durée de détention des titres dont la cession a fait apparaître les plus-values subsistant après imputation des moins-values […]
Dans l’attente de nouveaux commentaires que l’administration fiscale ne manquera sans doute pas d’intégrer à sa doctrine suite à l’arrêt du 12 novembre 2015, il convient d’ores et déjà d’analyser l’impact de cette méthodologie sur la taxation des plus ou moins-values, tant pour l’avenir que pour les années 2013 et 2014, au titre desquelles les contribuables se sont déjà acquittés de l’impôt calculé selon l’ancienne méthodologie.
Effets de la nouvelle méthodologie
Le Conseil d’Etat interdit toute application d’abattements qui précèderait l’imputation des pertes sur les gains. L’abattement se calculera donc désormais sur le net résultant de la compensation des gains et pertes, ces dernières continuant donc en réalité à être incluses dans l’assiette des abattements sous une forme « négative ».
Le taux de l’abattement appliqué sur le gain net ne devrait d’ailleurs plus dépendre que de la durée de détention des titres ayant généré des plus-values. L’effet d’incitation qui pouvait pousser les contribuables à vendre au plus vite des titres porteurs d’une moins-value latente, effet qui était manifestement contraire aux objectifs « d’encouragement de l’investissement à long terme » poursuivi par le législateur, a donc bien été éliminé.
Demeure néanmoins la constatation du fait que la nouvelle méthodologie du Conseil d’Etat n’aboutira pas systématiquement à une imposition plus faible que celle qui résultait de l’instruction administrative, ainsi que le démontrent les deux exemples chiffrés suivants.

  • Cas n° 1 : contribuable ayant réalisé la même année :

o   une plus-value de 50.000 € sur des titres détenus depuis moins de 2 ans
o   une moins-value de 30.000 € sur des titres détenus depuis plus de 8 ans.
Sous l’empire des dispositions de l’instruction désormais annulées par le Conseil d’Etat, la moins-value brute de 30.000 € subissait un abattement de 65 % donnant lieu à une moins-value nette de 10.500 €. Cette moins-value s’imputait ensuite sur la plus-value de 50.000 € (non frappée d’un abattement car issue de titres détenus pendant moins de 2 ans). Le contribuable s’acquittait donc d’un impôt sur le revenu calculé sur un gain net de 39.500 €.
Selon la méthodologie décrite par le Conseil d’Etat, l’imputation de la moins-value brute de 30.000 € devrait désormais se pratiquer directement sur la plus-value brute de 50.000 €. Le gain net de 20.000  € ne subirait aucun abattement, celui-ci s’appliquant uniquement « en fonction de la durée de détention des titres dont la cession a fait apparaître une plus-value ».
L’impôt sur le revenu serait donc désormais calculé, dans cet exemple, sur une assiette de 20.000 € au lieu d’une assiette de 39.500 €. La nouvelle méthodologie est ici favorable au contribuable.

  • Cas n° 2 : contribuable ayant réalisé la même année :

o   une plus-value de 50.000 € sur des titres détenus depuis plus de 8 ans
o   une moins-value de 30.000 € sur des titres détenus depuis moins de 2 ans.
Sous l’empire des anciennes dispositions, la plus-value brute de 50.000 € subissait un abattement de 65 % donnant lieu à une plus-value nette de 17.500 €. Cette plus-value était ensuite complètement effacée par la moins-value de 30.000 € (non frappée d’un abattement car issue de titres détenus moins de 2 ans). Le contribuable ne payait pas d’impôt sur le revenu et bénéficiait d’une perte reliquataire de 12.500 € imputable sur des gains futurs.
Selon la méthodologie décrite par le Conseil d’Etat, l’imputation de la moins-value brute de 30.000 € se ferait désormais directement sur la plus-value brute de 50.000 € et c’est sur le gain net de 20.000 € que se pratiquerait un abattement de 65 %. Le contribuable s’acquitterait donc d’un impôt calculé sur une assiette de 7.000 € et ne bénéficierait d’aucune perte reportable…

  • Analyse

Dans le dernier exemple, l’assiette taxable aurait été de 17.500 € en l’absence de toute perte imputable (soit la plus-value de 50.000 € après abattement de 65 %).
Or l’imputation d’une perte de 30.000 € aboutit à un gain net taxable 7.000 €. Cette imputation ne permet donc qu’une économie d’assiette de 10.500 €. On observe ainsi que le différentiel entre la valeur nominale de la perte (30.000 €) et son efficacité fiscale (10.500 €) correspond mathématiquement à l’abattement de 65 % qui, s’appliquant sur le gain net, a diminué à la fois la part de plus-value brute et de la part moins-value brute qui le compose.
Or, le taux de l’abattement n’étant désormais déterminé qu’en fonction de la durée de détention des titres dont sont issus les gains (et non les pertes), on observera que l’imputation de la même perte sur une plus-value n’ouvrant pas droit à abattement aurait permis de diminuer l’assiette de l’impôt sur le revenu à hauteur de la valeur nominale de la perte, donc beaucoup plus efficacement.
Le contribuable serait donc avisé d’imputer prioritairement ses pertes sur des gains non susceptibles d’être frappés d’abattements (ou sur ceux pour lesquels l’abattement est le moins élevé), car cette utilisation diminuerait de manière plus efficace l’assiette de l’impôt sur le revenu.
On comprend dès lors très bien pourquoi le Conseil d’Etat a eu à cœur de préciser que les moins-values pouvaient être imputées par le contribuable « pour le montant et sur les plus-values de son choix ».
L’arrêt du Conseil d’Etat laisse peu de doutes sur le fait que le contribuable sera bien libre d’imputer ses pertes sur les différents gains réalisés au cours d’une même année, en choisissant prioritairement les gains ne bénéficiant pas déjà d’un abattement pour durée de détention.
En revanche, la possibilité d’opter pour un report de pertes vers des années ultérieures alors même que subsisterait un gain net taxable au titre de l’année en cause méritera probablement d’être précisée par l’administration, voire par une nouvelle intervention du juge de l’impôt.
La rectification des années 2013 et 2014
Les contribuables ayant réalisé des cessions de valeurs mobilières en 2013 et 2014 seraient avisés de recalculer le montant du gain net taxable et des pertes en report reportés sur leurs déclarations de revenus. Pour les opérations réalisées dans un portefeuille-titres, encore faudra-t-il qu’ils obtiennent de leur banque, s’ils n’ont pas déjà ces informations :

  • le montant brut des plus-values éligible à abattement de 85 % (abattement dit « renforcé ») ;
  • le montant brut des plus-values éligible à abattement de 65 % ;
  • le montant brut des plus-values éligible à abattement de 50 % ;
  • le montant brut des plus-values non susceptibles d’abattement ;
  • le montant brut des moins-values.

Si le calcul du gain net taxable selon la méthodologie du Conseil d’Etat aboutissait à une assiette d’imposition inférieure à celle initialement déclarée, les contribuables devraient réclamer le dégrèvement du trop payé avant le 31/12/2016 pour les revenus 2013 et avant le 31/12/2017 pour les revenus 2014.
Si le nouveau calcul ne change pas l’assiette de l’impôt mais uniquement le montant des pertes en report (cas par exemple d’un contribuable n’ayant déclaré que des pertes), il nous semble que la rectification pourrait en être faite directement sur le formulaire de suivi des pertes en report annexé aux déclarations de revenus ultérieures.
Reste à savoir, puisqu’on a vu que la méthodologie prescrite par le Conseil d’Etat pouvait également générer une imposition supérieure, si l’administration pourrait réclamer sur le fondement de celle-ci un complément d’impôt sur les revenus 2013 et 2014 aux contribuables pour lesquels  l’ancienne méthodologie s’avèrerait avoir été plus favorable.
Il ne fait aucun doute que les contribuables qui ont appliqué de bonne foi les dispositions désormais annulées de l’instruction fiscale au titre de leur déclaration des revenus 2014 seront protégés de toute remise en cause par les dispositions de l’article L. 80 A du Livre de procédures fiscales.
Plus délicate est la situation des contribuables ayant tiré bénéfice de l’ancienne méthode pour l’impôt sur les revenus 2013 car les dispositions annulées, même si elles étaient préfigurées par la teneur très univoque des formulaires déclaratifs fournis à l’époque par l’administration fiscale, n’a été publiée que postérieurement à la date limite de dépôt des déclarations des revenus 2013. Dès lors, ces contribuables ne devraient pas en principe être couverts par la garantie contre les changements de doctrine…