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L’Europe veut la peau des holdings familiales étrangères

(Proposition COM(2021) 565 du 22 décembre 2021)

La Commission Européenne vient de présenter une proposition de directive visant à mettre fin à l’utilisation abusive d’entités écrans à des fins fiscales : les entités écrans établies dans l’UE n’exerçant aucune activité économique ou n’exerçant qu’une activité économique minimale ne pourraient plus bénéficier d’aucun avantage fiscal, en particulier ceux issues des directives « Distributions » et « Intérêts ».

Quand on examine ce que la Commission considère être une entité écran, on constate que sont particulièrement visées les sociétés holdings établies dans un autre État-membre que celui de leurs associés lorsque ces derniers sont des personnes physiques. En effet, les entités dites « à risque » d’absence de substance sont définies à partir de 3 critères cumulatifs : la perception de revenus passifs, l’exercice d’une activité transfrontière et l’externalisation de la gestion de leurs opérations et des décisions.

Les sociétés holdings familiales « à risque » devront donc indiquer, dans leur déclaration fiscale annuelle, pour chaque année d’imposition, si elles satisfont aux indicateurs de substance minimale suivants :

  • la disposition de locaux à l’usage exclusif de l’entreprise,
  • la présence d’au moins un compte bancaire propre et actif dans l’Union,
  • et au moins un administrateur résidant à proximité de l’entreprise qui se consacre à ses activités ou, à défaut, un nombre suffisant de salariés participant aux activités génératrices de recettes de l’entreprise et domiciliés à proximité de celle-ci.

Or, si le critère du compte bancaire ne devrait guère soulever de difficulté, les autres vont soit renchérir considérablement le coût de gestion des holdings familiales étrangères, soit se trouvent tout simplement hors de leur portée faute d’actifs générateurs de profit suffisants.

La conséquence pour les sociétés qui échoueront à ce test en 2 temps sera qu’elles seront présumées dépourvues de substance et qu’elles seront tout simplement privées du bénéfice des conventions fiscales préventives de double imposition et des Directives « Distributions », « Intérêts » et « Redevances ». En d’autres termes, elles seront soumises aux retenues à la source du droit interne sans pouvoir bénéficier du régime mère-fille. Certes, il s’agira d’une présomption réfragable, mais pour la faire valoir, il sera nécessaire d’aller devant le juge de l’impôt.

Sachant que le projet de Directive vise une entrée en vigueur au 1er janvier 2024, les contribuables possédant ce type de structure vont devoir rapidement s’interroger sur l’utilité de leur maintien en l’état ou de leur rapatriement dans leur État de résidence, sachant que si le transfert du siège social de ce type de structure bénéficie aujourd’hui du droit européen et donc d’une certaine neutralité fiscale, ce ne sera plus le cas après l’entrée en vigueur du régime.

Le bon côté de cette mesure, c’est qu’elle va en quelque sorte « purger » les risques d’abus de droit pesant sur ce type de schéma. En effet, à partir du moment où la société holding familiale se verra refuser le bénéfice des conventions fiscales et Directives pour défaut de substance, le fisc n’aura plus qu’à lui réclamer (à elle ou à ses filiales) les retenues à la source et autres impositions sans avoir besoin de remettre en question son interposition dans le cadre de la procédure de l’abus de droit.

Son (très) mauvais côté, c’est que la notion de substance telle qu’envisagée par le projet de Directive fait la part trop belle aux critères matériels mais néglige totalement les critères plus « spirituels ». Or, le choix de constituer une holding dans un autre État peut être parfaitement justifié pour des raisons juridiques, comme par exemple la volonté de bénéficier d’une règle de droit qui n’existe pas dans l’Etat de résidence des contribuables mais dont le bénéfice permet d’atteindre un objectif non fiscal totalement légitime, comme par exemple préparer la transmission de leur patrimoine à leurs héritiers.

En tout état de cause, cette question a toutes les caractéristiques d’un futur « nid à contentieux », ce dont les avocats que nous sommes ne sauraient se plaindre !