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Cotisation PUMA : Pourquoi nous la combattons.
La pause estivale est propice à la réflexion et nous nous proposons de partager avec nos lecteurs le fruit de nos cogitations sur le bien-fondé de notre combat contre la cotisation PUMA.
La cotisation subsidiaire maladie (CSM) dite « cotisation PUMA » n’est due que par les personnes qui, quasiment démunies de revenus d’activité, assurent leur subsistance par d’autres ressources. Ce club somme toute restreint de cotisants est formé de populations hétérogènes. On y côtoie des personnes qui,à l’abri du besoin parfois dès leur naissance, traversent l’existence en échappant à la malédiction du travail et à la nécessité de cotiser à un régime de retraite; mais aussi, à l’autre extrémité du spectre, des individus qu’un accident de la vie a expulsé du monde des actifs.
Et entre les deux, une masse de voyageurs en transit: en particulier des dirigeants d’entreprises qui,après avoir cédéleur affaire,ne se sont pas déjà, au cours de la même année fiscale, projeté dans un nouveau projet professionnelgénérateur de revenus d’activité.
La loi a voulu les faire cotiser tous à la CSM pour un motif qu’elle n’a pas exprimé mais que l’URSSAF s’est chargée de nous expliquer: les membres du club bénéficient de la protection sociale puisque celle-ci est devenue généreusement universelle. Il serait donc inéquitable qu’ils ne participent pas à son financement. Ainsi formulée, l’idée est simple mais elle est fausse. Les revenus autres que les revenus d’activité sont très largement soumis à la CSG qui contribue, pour les 2/3 de son montant,au financement de la protection sociale. Mais surtout, le texte d’origine de la CSM(L. 380-2 du CSS, dans sa rédaction issue de l’article 32 de la loi n° 2015- 1702 du 21 décembre 2015), mal calibrécar désireux de remédier à une inéquité supposée, a créé une vraie injustice. Il a fixé un taux élevé de cotisation et omis son plafonnement. Il en résulte que la CSM peut atteindre des montants stratosphériques, sans rapport aucun avec le bénéfice supposé d’un accès à une couverture sociale collective.
Les Juges ont admis qu’il y avait là une difficulté, constitutive d’une rupture du principe constitutionnel d’égalité de traitement devant les charges publiques. Le TASS de Lille a ouvert la voie en accueillant favorablement notre QPC en juillet 2018.
Le Conseil d’Etat statuait dans le même sens le 4 Juillet 2018 sur conclusions conformes de son rapporteur public :
« La conjugaison, d’une part, d’un seuil d’application de la cotisation et,d’autre part,de son absence de plafonnement peut conduire à appliquer à des personnes qui travaillent peu et qui ont des revenus du capital moyens une cotisation très supérieure à celle acquittée au titre du seul travail par un travailleur qui travaille un peu plus (le faisant donc passer au dessus du seuil) et qui dispose en outre de revenus du capital important. »
Le Conseil Constitutionnel a relevé enfin l’existence de cette irrégularité. Il a toutefois, pour une raison technique liée aux limites de sa compétence, refusé de censurer la disposition légale de la CSM(Décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018).
La CSM étant une cotisation sociale et non un impôt, c’est le règlement et non la loi qui doit en déterminer les modalités (taux, plafonnement). Or,le contrôle de conformité du Conseil Constitutionnel s’arrête au domaine de la loi. Mais le Conseil Constitutionnel a tenu à exprimer une « réserve d’interprétation » ainsi formulée:
« Enfin, la seule absence de plafonnement d’une cotisation dont les modalités de détermination de l’assiette ainsi que le taux sont fixés par voie réglementaire n’est pas en elle-même constitutive d’une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Toutefois, il appartient au pouvoir réglementaire de fixer ce taux et ces modalités de façon à ce que la cotisation n’entraine pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques».
A la suite de cette réserve d’interprétation, le gouvernement a paru aller très vite.
L’article 12 de la Loi n°2018-1203 du 22 Décembre 2018 (PLFSS 2019) a modifié l’article L 380-2 du CSS. Puis l’article 1 du décret d’application n°2019-349 du 23 Avril 2019modifiant l’article D 380-1 du CSS a réduit le taux et institué un plafonnement de la CSM. Mais, en dépit de notre miseen garde exprimée ici même au cours de la discussion parlementaire, mise en garde reprise par la Commission des affaires sociales du Sénat, l’application de ces textes qui devaient remédier à l’inconstitutionnalité passée est au contraire différée dans le temps jusqu’en 2020. Le II de l’article 12 de la loi, puis l’article 3 du Décret précisent que ces dispositions ne s’appliquent qu’aux cotisations dues au titre des périodes courant à compter du 1erJanvier 2019.
Les cotisants de 2016 et 2017 et bientôt ceux de 2018 continueront donc d’être imposés au prix fort. Les cotisants 2018 seront même privés en prime du principe d’application immédiate de la loi nouvelle.
Des cotisants 2016 demandaientau Conseil d’Etat d’annuler les dispositions d’une circulaire d’application de la CSM. Mais, comme on le verra plus loin, ils ont frappé à la mauvaise porte et un arrêt du 10 Juillet 2019 a rejeté le recours (CE, 10 Juillet 2019, n°417919).
Le débat est-il clos ? Les redevables de la PUMA pour 2016, 2017 et 2018 doivent-ils se résoudre à n’en plus contester le principe et à borner leurs contestations aux modalités au demeurant très erratiques de son application ? Ne peuvent-ils se prévaloir ni de la réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel ni de la modification ultérieure du texte légal (L 380-2), puis du texte réglementaire (D 380-1) du CSS ?
Nous pensons que le débat reste entier mais qu’il se pose dans des termes nouveaux.
La décision du Conseil d’Etat du 10 Juillet 2019 a pour effet de maintenir dans l’ordre interne les dispositions réglementaires de la CSM. Elle n’efface pas pour autant la portée de la réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel. Une réserve d’interprétation constitutionnelle n’est pas une recommandation mais une décision.
Selon l’article 62 de la Constitution, ces décisions « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. »
Pour le Conseil Constitutionnel une réserve doit être nécessairement suivie d’effets: « La réserve s’incorpore donc à la loi. Une disposition législative ayant fait l’objet d’une réserve d’interprétation du Conseil n’existe dans l’ordre juridique que pour autant que la réserve est suivie d’effets »(CC commentaire du 14 décembre 2002). Mais à qui incombe-t-il de donner effet à cette réserve ?
Le Conseil d’Etat a jugé que dans le cadre procédural du recours pour excès de pouvoir, il ne lui revenait pas d’y procéder. Cette décision ne doit pas nous étonner car en réalité,c’est au seul Juge judiciaire, juge de la cotisation sociale, qu’il revient de le faire. Il en est ainsi parce que la réserve du Conseil Constitutionnel ne porte pas sur un texte mais sur une absence de texte.
En soi, les dispositions soumises en vain à la censure du Conseil d’Etat n’étaient pas contraires aux normes constitutionnelles. Simplement, elles sont incomplètes. Et c’est cette incomplétude qui fait que le dispositif légal et réglementaire de la CSM considéré dans son ensemble est contraire à la Constitution. Le Conseil d’Etat n’a pas considéré l’ensemble formé par ces textes mais le détail de celui soumis à sa censure. Ce sont les règles propres au recours pour excès de pouvoir qui délimitaient de la sorte le champ restreint de son examen. Or, dans le cadre du contentieux de l’annulation, le moyen dit « d’incompétence négative » consistant à contester l’incomplétude du texte déféré ne constitue pas un cas d’ouverture du recours devant la juridiction administrative. Après quelques hésitations jurisprudentielles dont Mme Bretonneau a retracé l’historique dans un article passionnant (« l’incompétence en droit constitutionnel » in Les nouveaux cahiers du Conseil Constitutionnel, Janvier 2015), le Conseil d’Etat en a ainsi jugé dans un arrêt Fédération départementale des associations agréées de la pêche et de protection du milieu aquatique de l’Orne(CE, 27 octobre 2008, n° 307546, p. 364). Citons Mme Bretonneau : « le Conseil d’Etat écarte comme inopérant le moyen tiré de l’incompétence négative d’un décret qui n’avait pris qu’une partie des mesures d’application impliquées par la loi au motif « qu’aucune disposition ni aucun principe n’imposait au pouvoir réglementaire d’épuiser, par le décret attaqué, la compétence qu’il tenait des dispositions législatives » ».
Dans ses conclusions, le commissaire du Gouvernement E. Glaser relevait qu’aucune règle n’impose au pouvoir réglementaire d’adopter un seul décret quand le législateur lui renvoie l’adoption de diverses dispositions (citant CE, 12 février 1993, Syndicat CFDT des personnels des ministères chargés de l’Industrie, de la Recherche, de l’Énergie, du Commerce et de l’Artisanat, T. p. 817 et 842 sur un autre point). »
En revanche, le juge judiciaire a une vision d’ensemble panoramique des textes puisqu’il est chargé de vérifier leur juste application combinatoire. Lui seul doit donc établir si au regard du Droit existant à la date de la décision du Conseil Constitutionnel, le pouvoir réglementaire a depuis lors pris les mesures correctrices requises par le Juge Constitutionnel de réduction du taux de cotisation et de plafonnement. Ce n’est pas le cas pour les cotisants de 2016, 2017 et 2018.
Le Conseil Constitutionnel n’a pas permis un tel retard d’exécution. A son audience des plaidoiries, nous avions été stupéfaitd’entendre le représentant du Premier Ministre, s’exprimant après nous, lui demander de différer l’effet d’une décision dont il pressentait qu’elle lui serait défavorable. Le Conseil Constitutionnel n’a pas suivi cette requête inhabituelle du Gouvernement. Mais l’Exécutif a passé outre: ce que le Juge suprême de la Constitution lui a refusé, il se l’est octroyé, au préjudice des citoyens concernés. Les PUMA 2016, 2017, 2018 doivent-ils consentir à cette inconstitutionnalité ?
Au nom de chacun de nos clients, nous demanderons au juge judiciaire d’appliquer l’article 62 de la Constitution et de donner plein effet immédiat à la décision du Conseil Constitutionnel du 27 Septembre 2018.
Mais une autre question se pose, qui est celle des effets de l’article 12 du PLFSS 2019 et de l’article 1erdu décret du 23 Avril 2019 sur la constitutionnalité et la conventionalité des dispositions légales et réglementaires antérieures.
Les cotisants à la CSM forment désormais deux clubs séparés:
- Les cotisants au titre de 2016, 2017 et 2018 continuent d’être soumis à un taux de 8% et ne bénéficient toujours pas d’un plafonnement puisque, pour eux, la réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel n’a pas été suivie d’effet ;
- les nouveaux au titre de 2019 seront soumis à un taux de 6,5% et auront droit à un plafonnement fixé à 20 000 Euros de cotisation. A leur égard, la réserve d’interprétation n’est pas vaine.
Certes, il est toujours loisible au législateur d’établir des distinctions entre cotisants et il peut changer une contribution d’un exercice à l’autre. Mais il doit fonder son appréciation sur des critères rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Ce principe s’impose aussi bien au regard de la norme constitutionnelle interne (CC Décision n° 2013-666 DC du 11 avril 2013) que de la norme conventionnelle externe de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme (Cass Com, 19 Juin 2019, n°17-19.305).
En l’espèce,l’exposé des motifs du PLFSS 2019 concernant la CSM était très clair: il s’agissait de rectifier « certaines incohérences »et même « des défauts de conception de la contribution ». Cet exposé faisait écho, selon la plume du Gouvernement, à l’indignation des personnes concernées: « des défauts de conception de la contribution qui suscitent parfois l’incompréhension de certains redevables ».
C’est donc pour répondre à « l’incompréhension » des redevables de la cotisation de 2016 et 2017 qu’on remédie à l’inconstitutionnalité pour le seul bénéfice de leurs successeurs de 2019 ! Et eux, les incompris, les damnés de la PUMA 2016 et 2017, bientôt rejoints par les PUMA 2018, sont abandonnés au bord de la route. Il y a là une incohérence complète du mécanisme d’ensemble au détriment de ces cotisants par rapport à un objectif proclamé certes ultérieurement mais qui les vise directement. Un gouvernement qui voudrait briser le consentement citoyen à la contribution sociale ne s’y serait pas pris autrement.
C’est un manquement aux articles 6, 13 et 16 de la Déclaration de 1789. Un manquement aux dispositions combinées des articles 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et de l’article 1 du premier protocole additionnel à cette Convention, qui prohibent les discriminations injustifiées en matière de protection du droit de propriété.
L’Exécutif et le Parlement auraient dû se résoudre à appliquer loyalement la décision du Conseil Constitutionnel au lieu de maintenir trois classes de cotisants PUMA dans un régime contraire aux droits fondamentaux. Heureusement, le troisième pouvoir, celui des juges, dispose de tous lesattributs nécessaires pour remédier à une situation inacceptable.
Nous allons donc faire un usage intense de la théorie du droit vivant.