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Une inquiétante extension du champ d’application de l’article 123 bis à l’or physique
(CAA Versailles, 5 janvier 2023, n° 20VA02075)
On sait qu’entrent dans le champ d’application de l’article 123 bis du CGI les personnes morales, organismes, fiducies et institutions comparables dont l’actif est principalement constitué de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants.
Saisie du cas d’un contribuable dont les structures offshores ne possédaient que des lingots d’or, la Cour de Versailles a jugé que ces lingots « concouraient à l’actif des deux sociétés, en tant que produits de dépôt inscrits sur le compte courant des sociétés (…) et devaient être regardés comme des dépôts au sens de ces dispositions ».
Les requérants soutenaient pourtant que ces actifs ne procurant aucun revenu financier, ils ne pouvaient pas être dans le champ d’application du texte. Et il est vrai que les exemples que donne le BOFiP sur le champ d’application de l’article 123 bis laissent penser que les dépôts visés sont ceux qui procurent des intérêts (BOI-RPPM-RCM-10-30-20-10, n° 350).
Certes, l’article 123 bis vise expressément les « dépôts », sans limiter ces derniers aux « dépôts de sommes d’argent à vue ou à échéance fixe » visés à l’article 124 du CGI.
Toutefois, cette notion ne nous paraît pas renvoyer pour autant au contrat de dépôt visé à l’article 1915 du Code Civil, qui est un acte par lequel le dépositaire reçoit la chose d’autrui (le déposant), à charge pour lui de la garder et de la restituer en nature. Le dépôt visé par le texte ne concerne que les actifs financiers qui figurent sur les comptes-titres de la société sans constituer pour autant des valeurs mobilières ou des droits de créance. On pense en particulier aux parts de Fonds Communs de Placement.
En revanche, étendre le champ d’application de l’article 123 bis aux actifs physiques, comme l’or, va très clairement au-delà de l’esprit du texte, qui vise à rendre transparentes des structures à fiscalité privilégiée qui possèdent des actifs financiers. Rappelons que pour le rapporteur général du Budget au Sénat de l’époque, Philippe Marini (Rapport Général sur le PLF 1999, tome III, n° 66), l’article 123 bis permettait de « viser une évasion fiscale principalement financière, réalisée par l’intermédiaire de structures de gestion du patrimoine financier » en faisant entrer dans le champ d’application du dispositif les entités dont l’actif est composé à plus de 50 % par « des actifs financiers ou monétaires ».
On peut objecter que l’or physique ne se distingue finalement que très peu de l’or-papier et que sa vocation est principalement financière. Cependant, son caractère physique emporte plusieurs conséquences, la première étant le régime fiscal du gain de cession, qui relève des plus-values privées sur biens meubles et non du régime des cessions de valeurs mobilières et de droits sociaux, la seconde étant qu’il n’est pas inscrit dans les livres de la banque. Avec une conception aussi extensive du dépôt, c’est bien la totalité des biens meubles qui entreraient dans le champ d’application de l’article 123 bis : objets d’art, de collection comme des voitures, voire les cryptoactifs, ce qui serait particulièrement absurde, car comme ces types de biens n’existaient pas en 1998, on imagine mal le législateur avoir voulu les viser !
La CAA Versailles a donc fait preuve de constructivisme fiscal, ce qui est particulièrement dangereux car en étendant le champ d’application d’un texte hors de celui défini par le législateur, c’est le principe de la séparation des pouvoirs visé à l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 qui est mis à mal. Il reste à espérer que le Conseil d’Etat aura été saisi de cette décision et qu’il nous rende bientôt un arrêt de cassation définissant de manière restrictive le champ d’application de l’article 123 bis.