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Pacte Dutreil et Trésorerie Excédentaire : la Cour de Paris Résiste à la Cour de Cassation
(CA Paris 13 janvier 2025, n° 22/07624)
On se souvient qu’à côté du pacte Dutreil Transmission régi par l’article 787 B du CGI, il existait, du temps de l’ISF, un régime identique visé par l’article 885 I bis qui permettait au contribuable de bénéficier, moyennant un engagement de conservation, d’un abattement de 75 %.
Un célèbre animateur-producteur de télévision s’était placé sous ce régime mais sa société de production gagnait tellement d’argent qu’elle ne distribuait pas intégralement, qu’elle a fini par avoir une trésorerie absolument pléthorique dont la valeur excédait largement celle de son activité professionnelle. L’administration l’a donc redressé au motif que l’activité patrimoniale de gestion de cette trésorerie était devenue prépondérante. Le contribuable contestait vigoureusement ce redressement en arguant que non seulement les produits financiers de cette trésorerie contribuaient nettement moins au chiffre d’affaires global de la société que ses prestations commerciales, mais qu’elle n’exerçait aucune activité de gestion de cette trésorerie puisque n’ayant aucune compétence en la matière, celle-ci avait été confiée en gestion à des banques. Il insistait également sur la provenance de cette trésorerie, qui résultait quasi-exclusivement des bénéfices non distribués de l’activité commerciale de la société.
La Cour de Paris confirme le redressement aux motifs que cette trésorerie, qui représentait 90 % du bilan, avait été réinvesti dans un ensemble d’actifs comprenant des investissements pour la production d’énergie renouvelable pour 13 % du bilan et des valeurs mobilières de placement pour 78 % du même bilan. Elle relève également que cette trésorerie représentait entre 7 et 9 fois (selon les années) le chiffre d’affaires de la société, 15 fois ses dettes à court terme et entre 15 et 27 fois ses bénéfices. A l’inverse, l’activité commerciale ne nécessitait que peu de moyens, de sorte que cette trésorerie ne pouvait servir à son développement. Elle en conclut que… « en constituant progressivement et en conservant un patrimoine constitué de tels actifs, et bien que ces actifs découlent de son activité commerciale, la société a exercé, outre cette activité, une activité, civile, de gestion patrimoniale ».
Cette décision ne tient clairement pas compte de la portée de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 24 avril 2024 que nous avions commenté ici : https://blog.bornhauser-avocats.fr/2024/06/pacte-dutreil-et-tresorerie-excedentaire-la-cour-de-cassation-entrouvre-la-porte/. Rappelons que dans cette décision, la cour suprême a reproché aux juges du fond de ne pas avoir répondu à l’argument du contribuable quant à l’origine de la trésorerie excédentaire, qui provenait des bénéfices accumulés. Tel n’est toutefois pas le cas ici, puisque la Cour de Paris prend bien soin d’expliquer en quoi cette origine serait inopérante, à savoir que l’activité de l’entreprise ne nécessitait que peu d’investissements.
Ce faisant, la Cour s’immisce clairement dans la gestion de la société. Car même si l’activité elle-même ne mobilise que peu de moyens, son développement peut, lui, nécessiter l’investissement de cette trésorerie. On pense par exemple à une stratégie de croissance externe où les bénéfices accumulés sont engagés pour racheter des concurrents. C’est exactement ainsi que l’animateur Arthur a constitué le groupe Endémol.
L’erreur de raisonnement de la Cour apparaît d’ailleurs clairement quand elle regroupe sous le même concept de « trésorerie excédentaire » la trésorerie et les valeurs mobilières de placement de la société avec ses investissements dans l’énergie renouvelable. Conceptuellement, seuls ces derniers pourraient constituer des actifs non professionnels puisqu’ils proviennent d’un véritable réinvestissement de sa trésorerie et non de son simple placement. Quant à la caractérisation par la Cour de l’existence d’une véritable activité de gestion d’un patrimoine privée, elle apparaît parfaitement artificielle lorsqu’elle constate par ailleurs les piètres performances d’une trésorerie placée de manière très sécuritaire par les banques qui la gèrent sous mandat, sans que la société n’ait affecté à cette prétendue activité le moindre moyen.
Le principe de non-immixion de l’administration dans la gestion des entreprises est une règle cardinale de la fiscalité des entreprises. Elle a été dégagée de longue date par le juge administratif (CE 20 décembre 1963, n° 52308) et il serait parfaitement logique qu’elle soit également appliquée par le juge judiciaire pour les impôts relevant de sa compétence. Si cette affaire est soumise à la Cour de cassation, cette dernière aura enfin l’occasion de l’affirmer solennellement. Ce faisant, elle sécurisera les opérations de transmission dans le cadre du régime Dutreil où la question de l’affectation de la trésorerie de la société tourne de plus en plus au casse-tête pour les contribuables et leurs conseils.