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Relaxé au pénal mais condamné au fiscal : les incohérence du principe d’indépendance des procédures

(CAA Nancy 1er juillet 2021, n° 20NC00687)

S’il y a bien un domaine qui devrait connaître dans les années qui viennent son Grand Soir, c’est assurément la répression de la fraude fiscale. Aujourd’hui, le principe d’indépendance des procédures peut aboutir à ce qu’un contribuable relaxé des poursuites du chef de fraude fiscale soit néanmoins condamné par le juge de l’impôt à payer les droits prétendument éludés avec de lourdes pénalités.

Et c’est exactement ce qui est arrivé à un contribuable poursuivi sur le fondement de l’article 155 A du CGI pour avoir mis en place un schéma faisant intervenir une société britannique qu’il contrôlait et qui rendait des prestations de services en France au profit d’une société française qu’il contrôlait. Après l’avoir redressé, le fisc a saisi la Commission des Infractions Fiscales qui, comme à l’accoutumé osons-nous écrire, a validé les poursuites. Les contentieux fiscal et pénal ont alors vécu leur vie parallèle, jusqu’à ce que leurs solutions divergent : alors que le tribunal administratif validait le redressement et les pénalités pour manœuvres frauduleuses dont il était assorti, le tribunal correctionnel relaxait le prévenu et le Parquet s’inclinait sur ce point (mais poursuivait sur un autre point de détail).

La cour d’appel maintenait la condamnation des premiers juges sur l’autre point mais donnait acte de l’absence d’appel du Parquet, sanctifiant ainsi la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel.

Devant la Cour Administrative d’Appel de Nancy, le contribuable soutenait que l’autorité absolue de la chose jugée au pénal devait entraîner l’annulation des redressements et, à tout le moins, la décharge des pénalités pour manœuvres frauduleuses.

Que nenni lui répondit la Cour : l’autorité ne s’attache qu’à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. Elle ne saurait en revanche s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tiré de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité. En d’autres termes, si le contribuable a été relaxé au bénéfice du doute, le juge fiscal retrouve sa liberté.En l’espèce, la Cour a constaté que le juge pénal n’avait pas établi la matérialité de l’intervention personnelle du contribuable dans la réalisation des prestations litigieuses. Elle en conclut que dès lors qu’elle se borne à relever que certains des faits reprochés n’étaient pas établis, la décision pénale ne saurait s’imposer au juge fiscal.

Cette manière de voir nous semble éminemment critiquable s’agissant de l’application de l’article 155 A du CGI. On sait que ce texte, introduit dans notre droit pour contrer les « rent-a-star companies », ces sociétés que les artistes ou les sportifs constituaient dans des paradis fiscaux pour y loger leur rémunération, fait actuellement l’objet d’un véritable dévoiement puisqu’il est utilisé par le fisc pour sanctionner des contribuables qui ont créé des sociétés dans d’autres États-membres de l’Union Européenne. En l’occurrence, le Royaume-Uni était loin d’être un paradis fiscal et la société qu’il y a constitué n’a procuré au contribuable sanctionné qu’un avantage fiscal tout à fait marginal.

Mais surtout, lorsqu’il s’est agi de déterminer si ce texte n’était pas contraire à la liberté communautaire d’établissement, le Conseil d’Etat (20 mars 2013, n° 356642 et n° 346643, M. et Mme Piazza) a écarté l’argument par une interprétation neutralisante : si les prestations rendues par la société étrangère le sont à partir de la France, alors il y a détournement de la liberté d’établissement et il est normal que la France conserve son droit d’imposer lesdites prestations.

Or, que nous dit le tribunal correctionnel ? Que le fisc a précisément échoué à démontrer que les prestations rendues par la société britannique l’ont été par son actionnaire français. Pour parvenir à cette conclusion, le juge pénal a nécessairement considéré les faits, à savoir l’enquête réalisée, pour en conclure qu’elle n’apportait pas la preuve requise. Estimer que les faits ne sont pas établis quand c’est précisément leur établissement – rendre des prestations à partir de la France – qui permet d’écarter la liberté communautaire d’établissement est tout à fait critiquable. D’autant plus que réclamer au contribuable la preuve d’une abstention consiste à réclamer une preuve impossible.

C’est triste à dire, mais force est de constater que sur l’application d’un texte purement fiscal – l’article 155 A du CGI – le juge pénal a mieux raisonné que le juge de l’impôt. Le contribuable apportait de nombreux éléments pour démontrer que les prestations rendues l’avaient été d’Angleterre. Le juge pénal ne les a pas considérés car il a estimé qu’avant de regarder les preuves apportées par le contribuable, il devait d’abord s’assurer que l’administration apportait bien la preuve, qui lui incombait, de ce que les prestations avaient été fournies depuis la France. A partir du moment où le fisc n’a fourni aucun élément, alors la liberté d’établissement s’opposait à la mise en oeuvre de l’article 155 A.

Nous espérons que le contribuable donnera l’occasion au Conseil d’Etat de rappeler que le principe d’indépendance des procédures ne peut pas et ne doit pas permettre de sanctionner au fiscal un innocent.