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Soulte et apport de titres : le Conseil d’Etat opte pour l’abus limité

(CE 31 mai 2022, 8ème et 3ème ch., n° 455349 et 454288)

On sait que la question des soultes stipulées dans des opérations d’apport constitue aujourd’hui un contentieux de masse qui a beaucoup mobilisé ces dernières années le Comité de l’Abus de Droit Fiscal (même s’il est en passe d’être remplacé par celui des réductions de capital non motivées par des pertes).

Après avoir systématiquement relevé leur caractère abusif, le comité a toutefois infléchi sa position pour tenir compte de la jurisprudence du juges du fond, qui ont admis l’absence d’abus lorsque la soulte présentait une contrepartie, à savoir qu’elle avait permis d’emporter l’adhésion à l’opération d’une partie des apporteurs.

La position du Conseil d’Etat était donc attendue avec impatience. Allait-il valider le principe d’une application de l’abus de droit en cas de stipulation d’une soulte, alors même qu’aucun débat parlementaire n’indique la philosophie de cette dernière, écornant ainsi un peu plus le principe du libre choix de la voie la moins imposée ? Allait-il au contraire valider l’abus ? Allait-il ou non accepter comme les premiers juges de tenir compte des cas particuliers où la stipulation d’une soulte avait « mis de l’huile dans les rouages » et permis la réalisation de l’apport ?

Les tenants de l’orthodoxie fiscale en seront pour leurs frais : même si l’origine de la soulte restera à jamais un mystère, le Conseil d’Etat s’estime autorisé à faire preuve de bon sens et mettant ses pas dans les traces de sa jurisprudence en matière d’apport-cession, il juge qu’une soulte qui n’a pas servi à désintéresser les associés minoritaires présente un caractère abusif. Ce faisant, il valide la position des premiers juges et donne tort à l’administration qui ne voyait dans la soulte qu’un moyen d’assurer l’égalité entre les associés.

Pour le Conseil d’Etat, la soulte ne sert pas seulement à assurer une égalité mathématique, mais une égalité en droits. Si les prérogatives de l’associé sont plus limitées dans la nouvelle structure que dans l’ancienne, le fait de lui avoir permis de percevoir une soulte en espèces pour le désintéresser n’est nullement abusif. Pour les apporteurs de parts d’une société unipersonnelle à une holding, la messe est en revanche dite…

Seule consolation pour ces derniers : le Conseil d’Etat juge que le redressement ne peut se faire que sous le régime des plus-values et non sous celui, moins favorable à l’époque, des revenus distribués.